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Quel intérêt pour le mix électrique d'une seconde vie des batteries des véhicules électriques ?
Cet article analyse la pertinence technique, économique et environnementale de l’utilisation stationnaire et en seconde vie des batteries de véhicules électriques de manière à répondre aux besoins du système électrique.
En se fixant, dès 2015, un objectif de 7 millions de bornes de recharge en 2030 et en renforçant récemment les primes à la conversion pour l’achat de véhicules électriques (VE) ou hybrides rechargeables (VHR), la France a choisi de mettre l’électrification de la mobilité au cœur de sa stratégie de transition énergétique. Toutefois, le bilan environnemental de cette option dépend du lieu de fabrication, du poids, de la technologie et du mix électrique du lieu d’utilisation du véhicule. Pour l’améliorer, les fabricants mettent en avant un usage stationnaire des batteries de « seconde vie » qui pose deux grandes questions : celle du reconditionnement pour un usage stationnaire et celle de l’intérêt pour le système électrique de cette source de flexibilité.
L’état de l’art du bilan environnemental des véhicules électriques
L'empreinte carbone du véhicule électrique dépend fortement du contenu carbone du mix électrique
Devant l’augmentation du nombre de ventes de véhicules électriques ou hybrides rechargeables (cf. figures ci-dessous), la question du bilan environnemental de ces véhicules se pose avec acuité.
Les impacts environnementaux des véhicules à batteries font l’objet de nombreux travaux de recherche. Concernant les émissions de gaz à effet de serre (GES), un large consensus existe sur l’importance de l’origine de l’électricité utilisée pour recharger la batterie.
A l’inverse, les résultats de comparaison avec les émissions de véhicules thermiques diffèrent d’une étude à l’autre du fait du grand nombre d’hypothèses à faire : valeurs d’homologation ou valeurs réelles des émissions de véhicules thermiques, valeurs moyennes ou marginales du contenu CO2 du mix électrique, taille de la batterie, pays de fabrication de la batterie, kilomètres parcourus durant la durée de vie du véhicule, consommation du véhicule, …
Une étude publiée en 2018 par le Joint Research Center de la Commission européenne (JRC) analyse pour chaque État-membre les émissions GES de véhicules électriques. Celles-ci, comme le montre la figure ci-dessous, peuvent, être supérieures dans certains pays à celle des véhicules thermiques.
L’ONG européenne Transport & Environnement (T&E) a de son côté publié en 2020 une étude qui conclut que même avec une électricité produite au charbon, les véhicules électriques émettent moins de GES que les véhicules thermiques (voir figure ci-dessous).
Il est important de remarquer que les deux études ne prennent pas les mêmes hypothèses, notamment sur les émissions de GES des véhicules Diesel (145 gCO2/km pour la première, 230 gCO2/km pour la seconde).
On note par ailleurs que dans les pays comme la France où le contenu moyen en CO2 du mix électrique est faible et où la phase d’utilisation pèse donc peu dans le cycle de vie, la production de la batterie représente plus du tiers des émissions en analyse cycle de vie (ACV) du véhicule électrique, la phase de construction du véhicule (« Car production ») restant quant à elle équivalente entre électrique et thermique.
La réutilisation des batteries de véhicules électriques pour un usage stationnaire
Défis associés à la réutilisation des batteries de VE pour un usage stationnaire
Les challenges technologiques et économiques posés par la seconde vie des batteries de VE sont nombreux.
La contrainte la plus lourde liée à l’utilisation des batteries lithium-ion réside dans l’obligation de surveiller la tension de chacune des nombreuses cellules qui les composent : une batterie de ZOE contient 192 cellules, celle d’une TESLA plusieurs milliers. Un défaut de surveillance pouvant entraîner une dégradation accélérée voire une destruction de la cellule, la gestion de la batterie est grandement simplifiée si toutes les cellules sont identiques. Or, si un pack neuf peut ne contenir que des cellules identiques éventuellement soigneusement triées, avec le vieillissement des écarts apparaissent et s’amplifient. Une batterie de seconde vie est donc le plus souvent constituée de cellules âgées dont les caractéristiques diffèrent dans des proportions variables, ce qui interdit de considérer cette batterie comme homogène.
Deux possibilités se présentent alors pour son reconditionnement en batterie stationnaire :
Soit les batteries usagées de VE sont réutilisées telles quelles, mais alors il faut revoir toute la stratégie de commande – le programme mis dans l’automate de gestion, le « Battery Management System » (BMS) – pour l’adapter à des cellules non identiques tout en garantissant la sécurité de fonctionnement.
Soit la batterie est redécoupée en cellules, qui sont de nouveau triées et réassemblées pour constituer de nouvelles batteries aux cellules appariées mais ces opérations peuvent être complexes (le démantèlement de la batterie peut nécessiter de dessouder des connectiques avec un risque de détérioration de la cellule) et/ou très longues (la caractérisation d’une cellule peut durer plusieurs dizaines d’heures).
De plus dans les deux cas, la question du devenir de ces cellules avec le vieillissement futur reste à élucider : les disparités peuvent s’accélérer plus ou moins rapidement lors de la seconde vie et les lois de vieillissement établies pour la première vie doivent être validées pour la seconde vie, ce qui nécessite de longs programmes de recherche.
Tous ces points ont des répercussions sur la faisabilité, la sécurité des installations et des personnes et le modèle économique de l’utilisation de batteries de seconde vie. Pour ces raisons, la comparaison entre le recyclage direct et la seconde vie mérite d’être minutieusement explorée.
Les besoins du système électrique : de quoi parle-t-on ?
Les besoins du système électrique, en particulier avec une évolution du mix de production vers une part très importante d’énergies renouvelables, sont source de beaucoup d’idées reçues et d’approximations : avant de juger de la contribution possible des batteries de seconde vie au fonctionnement du système électrique, il convient donc de préciser les termes et les quantités dont on parle.
Le fonctionnement du système électrique repose sur deux catégories de services intervenant à différentes échelles de temps et se distinguant par leurs objectifs :
La « sécurité d’approvisionnement » désigne l’adéquation prévisionnelle entre l’offre et la demande, en énergie et en puissance (deux quantités qui se mesurent respectivement en TWh et en GW) à l’échelle d’un pays. Cet équilibre entre la production et la consommation est généralement évalué en amont d’une période annuelle par des modèles de prévision à un pas de temps d’une heure. A cet effet, la France a introduit en 2015 le « mécanisme de capacité » pour garantir le passage de la pointe électrique de l’hiver à venir, en prévoyant la disponibilité de moyens de production spécifiques et, à la marge, de capacités d’effacement de consommation, notamment par des industriels.
La fourniture de services au réseau, appelés « services système », permet quant à elle d’assurer la stabilité (réserves inertielles) et la sûreté (autres réserves en fréquence et réglage de tension) du système électrique. La fourniture de ces services permet de faire des ajustements à des pas de temps proches du temps réel de la contrainte (déséquilibre production-consommation, tension haute ou basse, etc.) qui vont de la milliseconde à l’heure, et intervient sur des durées courtes. Les différentes réserves (voir figure ci-dessous) ont pour rôle de palier les déséquilibres du système électrique qui résultent des aléas de production et de consommation dus aux erreurs de prévision et se distinguent par l’horizon de temps auquel elles interviennent.
Conclusion
Parfois présentées comme la clé de voûte d’un système électrique reposant majoritairement sur les énergies renouvelables, les batteries électrochimiques sont en réalité confrontées à deux freins majeurs à leur développement :
Elles ne peuvent en aucun cas fournir les volumes nécessaires au stockage inter-saisonnier, de l’ordre de la centaine de térawattheures
L’espace économique dévolu à la fourniture de services système est limité et, bien que son volume devrait croître avec la pénétration du renouvelable variable dans la production d’électricité, les batteries seront en concurrence avec de nouveaux acteurs.
Les batteries pourraient par contre s’avérer pertinentes pour une utilisation infrajournalière afin de lisser les pics de production photovoltaïque du midi et les pointes de consommation du soir ainsi qu’en complément des STEP afin de lisser les variations de la consommation et de la production éolienne à l’échelle de la semaine. Il reste toutefois à déterminer le rôle que pourrait jouer le stockage long-terme, de toute façon nécessaire dans des scénarios 100% renouvelable, dans l’équilibrage journalier et hebdomadaire du système électrique.
Le bilan environnemental des batteries de véhicules électriques, au-delà du CO2, amène à considérer cette technologie avec prudence. Les indicateurs d’analyse de cycle de vie doivent être surveillés de près et réactualisés régulièrement. Par ailleurs, le reconditionnement des batteries de véhicules électriques pour une seconde vie stationnaire mais aussi leur recyclage, avec ou sans seconde vie, soulèvent de nombreux défis.
Ceci illustre que la question de la mobilité ne peut pas se résoudre seulement sous l’angle de la technologie et que l’usage doit absolument être considéré. La sobriété d’usage, en jouant sur la distance parcourue en voiture individuelle et le nombre de passagers par véhicule, permettrait de réduire le nombre de voitures individuelles, la taille des batteries, et par conséquent le volume de batteries candidates à la seconde vie.
Les besoins du système électrique projetés dans un futur à 2050 avec un mix de production à 100% renouvelable se portent sur le développement industriel d’une solution de stockage inter-saisonnier avec des volumes de l’ordre de plusieurs dizaines de térawattheures. Le volume de stockage permis par les batteries de seconde de vie s’évalue plutôt à quelques dizaines de gigawattheures, pouvant répondre à des besoins infrajournaliers ou hebdomadaires pour lesquels elles se trouvent en compétition avec des solutions existantes à coût marginal quasi-nul (STEP) ou futures capables de répondre également aux besoins de stockage inter-saisonniers (Power-to-Gas). Il en va de même pour les services au réseau (réserves) qui peuvent être fournis de manière adéquate par d’autres technologies déjà présentes ou à venir. Ces constats posent la question de l’espace économique subsistant pour les batteries de seconde vie.
Un bilan environnemental des batteries de véhicules électriques à analyser avec précautions
S’ajoute à cette problématique celle du bilan environnemental des batteries de véhicules électriques qui doit être analysé et surveillé de près pour continuer à minimiser leurs impacts environnementaux sans devoir compter sur une seconde vie hypothétique qui nécessite dans tous les cas un reconditionnement pouvant être compliqué.
Ceci illustre que la question de la mobilité durable ne peut pas se résoudre seulement par une approche technologique. La sobriété d’usage est aussi un levier pour réduire le nombre de voitures individuelles, la taille des batteries, et par conséquent le volume de batteries candidates à la seconde vie.
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L’état de l’art du bilan environnemental des véhicules électriques
Un bilan ACV du véhicule électrique plus mitigé
Mais les émissions de GES ne sont pas les seuls impacts à considérer : les études complètes d’ACV intègrent également un grand nombre d’indicateurs environnementaux (toxicité humaine, pollutions de l’eau, des sols, production de particules, etc.).
Une étude allemande de l’université de Trèves parue en 2020 (voir figure ci-dessous) détaille pas moins de 18 indicateurs environnementaux différents, dont une majorité sont en défaveur du véhicule électrique même avec une électricité issue des énergies renouvelables (phase de fabrication et d’usage).
Ces résultats doivent être agglomérés dans un ou des indicateurs globaux pour être en mesure de tirer des conclusions. La question fondamentale est alors de fixer la pondération entre ces différents indicateurs : en fonction de celle-ci, le classement obtenu dans la comparaison des impacts des différents véhicules évolue fortement.
En conclusion, les impacts environnementaux du véhicule électrique sont complexes à analyser car ils dépendent d’un très grand nombre de facteurs liés à la fabrication des batteries (dont le détail relève souvent du secret industriel), au type de véhicules (puissance, poids, autonomie) et à l’origine de l’électricité ; qui plus est, la question du choix de la pondération entre les différents impacts est déterminante pour la comparaison avec les véhicules thermiques. Il est donc important que les méthodes et les données utilisées pour déterminer les impacts environnementaux soient consolidées afin d’identifier les points d’amélioration sur lesquels travailler dans le futur.
Quoi qu’il en soit, la batterie a un poids considérable dans ce bilan environnemental mais il est aussi évident que plus sa durée de vie est allongée, plus le fardeau environnemental est dilué. Dès lors, l’éventualité d’une seconde vie lorsque la batterie n’est plus jugée assez performante pour un véhicule électrique est un enjeu important pour déterminer l’impact réel de ce dernier.
Enfin, notons que dans la mise à jour de son étude "Futurs Énergétiques 2050" de février 2022, le gestionnaire de réseau de transport RTE souligne que si l'utilisation en seconde vie des batteries des véhicule électriques pour un usage stationnaire pourrait réduire les consommations en matériaux critiques tels que le nickel, le cobalt et le lithium, cela pourrait également réduire les volumes recyclés et les quantités de matière critiques récupérées par recyclage. Ainsi, RTE indique que le bilan matière d'une telle utilisation en seconde vie dépendra de la performance des filières de recyclage mises en place.
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La réutilisation des batteries de véhicules électriques pour un usage stationnaire
Défis associés au recyclage des batteries de VE
Avec ou sans seconde vie, le recyclage des batteries lithium-ion affronte lui aussi de sérieux défis technologiques et économiques. Tout d’abord, les batteries lithium-ion des véhicules appartiennent à plusieurs familles de batteries[1] qui se distinguent par leurs compositions chimiques. La multiplicité des chimies de batteries rend difficile la mise en place d’une filière unique de recyclage. Par ailleurs, la filière actuelle de recyclage des batteries lithium-ion ne traite pratiquement que des batteries d’ordinateurs ou de téléphones, généralement de type LCO à forte teneur en Cobalt, dont la valeur de revente élevée permet de financer l’opération. Le lithium, dont le prix de marché est peu élevé, est quant à lui très rarement valorisé après le recyclage de ces batteries. Or le Cobalt est absent de certaines chimies de batteries (LFP, LTO) de plus en plus utilisées dans les véhicules électriques. En bouleversant les volumes à traiter et les procédés à utiliser, le recyclage des batteries de véhicules électriques impose donc de redéfinir les outils industriels et de trouver de nouveaux modèles économiques.
Que l’on favorise l’option recyclage ou celle de la réutilisation, on constate que la fin de vie des batteries de véhicules électriques soulève des questions technologiques, environnementales et économiques. Les impacts environnementaux, sanitaires et financiers des différentes solutions envisageables sont pour le moment mal connus et rappellent le besoin de consolider encore les méthodologies et les résultats des études existantes et à venir sur le bilan environnemental des VE/VHR.
Dans ce contexte, un argument souvent avancé pour fournir une seconde vie aux batteries issues de l’électromobilité est le besoin de stockage stationnaire associé au déploiement des énergies renouvelables[2]. La section suivante décrit l’état de la connaissance sur l’évolution des besoins en stockage du système électrique dans un contexte de pénétration des énergies renouvelables et la section d’après cherche à identifier quel rôle peuvent prendre les batteries de seconde vie dans le fonctionnement du système électrique de demain.
[1] Il existe plusieurs variantes de batteries lithium ion en fonction de la chimie utilisée : LFP (lithium fer phosphate), NMC (nickel manganèse cobalt), LTO (lithium titanate), LCO (lithium cobalt), …
[2] voir par exemple Martinez-Laserna et al. « Battery second life Hype, hope or reality - A critical review of the state of the art », Renewable and Sustainable Energy Reviews 93 (2018) ou Freitas Gomes et al. « Coupling small batteries and PV generation A review », Renewable and Sustainable Energy Reviews 126 (2020)].
Dernière Mise à jour :
27/02/2024
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La sécurité d'approvisionnement
Le stockage peut jouer un rôle dans la sécurité d’approvisionnement sur trois horizons de temps différents, en fonction de la technologie et des besoins :
L’infrajournalier (cycles de charge / décharge de l’ordre de quelques heures) : le besoin de stockage à cette échelle de temps est nécessaire pour pallier aux fluctuations importantes de la demande entre heures « pleines », c’est-à-dire des heures de forte demande, et heures « creuses », qui peuvent être décorrélées des profils de production. Ce besoin est actuellement rempli par la flexibilité de la production, l’usage de moyens de production dits « de pointe » (centrales à gaz essentiellement) et par les stations de pompage-turbinage (STEP) associés aux réservoirs hydrauliques. Le besoin de stockage infrajournalier va principalement évoluer avec la pénétration du photovoltaïque dans le système électrique dont le rythme des variations est principalement journalier (cycles jour-nuit). L’étude ATEE-ADEME de 2013 sur le stockage montre qu’au-delà de 30GW de production photovoltaïque raccordée au réseau, des excédents de production ont lieu au milieu de la journée et doivent donc être stockés pour être déchargés lors de la pointe du soir (voir figure ci-dessous). Dans son étude "Futurs Énergétiques 2050", RTE évalue que le besoin de modulation infrajournalier pourrait être multiplié par 7 dans un scénario 100% renouvelable avec beaucoup de production solaire.
L’infra-hebdomadaire (quelques jours) : le besoin de stockage à cette échelle correspond actuellement à une variation de la consommation entre semaine et week-end. Ce besoin est actuellement également rempli par la flexibilité de la production et par les stations de pompage-turbinage (STEP) associés aux réservoirs hydrauliques. Le besoin de stockage infra-hebdomadaire va principalement évoluer en fonction de la pénétration de l’éolien dans le système électrique, dont le rythme des fluctuations est de plusieurs jours, la différence de consommation entre jours de semaine et week-end ayant tendance à diminuer grâce à la maîtrise de la demande. La figure ci-dessous, représentant la production sur deux semaines en 2050, issue de l’étude ADEME de 2015, illustre un épisode de forte production éolienne sur les trois premiers jours suivis d’une baisse de production importante sur les 9 jours suivants qui doit être compensée par le déstockage d’électricité par des moyens adéquats. Dans son étude "Futurs Énergétiques 2050", RTE évalue que le besoin de modulation infra-hebdomadaire pourrait être multiplié par 4 dans un scénario 100% renouvelable avec beaucoup de production éolienne.
L’inter-saisonnier (plusieurs mois) : le besoin inter-saisonnier est lié à une variation importante de consommation d’électricité entre saisons. Le besoin de stockage pour faire face à cette variation est actuellement inexistant parce que le mix de production est en très grande partie pilotable : les centrales nucléaires, par exemple, adaptent fortement leur puissance de production entre l’hiver (toute la capacité de production est mobilisée – environ 60GW) et l’été (production moyenne d’environ 30GW). A l’inverse, en 2050, dans un scénario où le mix électrique est à 100% composé d’électricité de source renouvelable, des variations importantes de production renouvelable entre saisons s’ajoutent aux variations de consommation à cette échelle. En effet, selon l’étude ADEME 2015, à 2050, l’appel de puissance en hiver reste plus important (pointe à 96GW) qu’en été (50-60GW en journée). Ainsi, les usages thermiques de l’électricité, et la capacité installée de photovoltaïque et éolien sont des facteurs clés pour évaluer le besoin de stockage inter-saisonnier. La figure ci-dessous montre le résultat de l’étude ADEME 2015 sur les volumes à stocker par la transformation des excédents de production d’électricité en gas (Power-to-Gas) et à déstocker (Gas-to-Power), en particulier le stockage de production solaire du printemps à l’automne, au moment où les consommations sont faibles et le déstockage massif en hiver.
Au total, sur les différentes échelles temporelles présentées ci-dessus, RTE évalue des nouveaux besoins capacitaires (outre les capacités flexibles des centrales de production nucléaires ou renouvelables, les flexibilités de consommation et les interconnexions déjà existantes) pour la sécurité d'approvisionnement à 2050 compris entre un peu moins de 30 GW et un peu moins de 70 GW selon les scénarios envisagés (voir figure ci-dessous). Les scénarios 100% renouvelable évalués par RTE nécessitent plus de 60 GW de besoin capacitaire pour la sécurité d'approvisionnement. Ces besoins capacitaires incluent le stockage mais aussi des centrales thermiques (qui peuvent fonctionner avec du gaz décarboné) et de la flexibilité de la demande.
Les besoins de stockage dépendent du mix électrique
Les volumes nécessaires de ces différentes formes de stockage dépendent donc fortement du mix de production électrique, en particulier des proportions d’éolien et de solaire, et des possibilités d’adaptation de la consommation. Les résultats de l’étude ADEME de 2015 confirment ceux de l’étude ATEE-ADEME 2013 : le besoin de stockage additionnel est très limité en-dessous d’une couverture de la consommation électrique à 40% par les EnR (correspondant notamment à une puissance installée de 20GW de photovoltaïque, là où l’étude ATEE-ADEME 2013 parlait d’un seuil à 33GW de photovoltaïque). Dans ces études, le besoin de stockage inter-saisonnier n’apparaît qu’à partir de 95% de couverture de la consommation par les EnR.
Néanmoins cette représentation en puissance ne permet pas entièrement de se rendre compte des phénomènes. En effet, il est plus courant d’exprimer les besoins de stockage en énergie. Les tableaux 1 et 2 ci-dessous rend compte des ordres de grandeur chiffrés pour les trois échelles de temps en fonction des puissances installées d’éolien et de solaire. Ces chiffres sont basés sur les études ATEE-ADEME de 2013 et ADEME de 2015 . Ils tiennent compte d’un développement important de l’effacement de consommation pour diminuer les pointes de consommation . De ces valeurs, on peut retenir que :
Le besoin de stockage augmente à toutes échelles avec une augmentation notable du stockage infrajournalier,
Le besoin de stockage inter-saisonnier n’apparaît que pour des parts très élevées, à partir de 95%, d’énergies renouvelables dans la production d’électricité,
La moyenne donnée pour le stockage hebdomadaire ne rend pas compte des disparités existant d’une semaine à l’autre du fait de la variabilité de la production éolienne. Un exemple de valeur haute correspond à un excédent de production éolienne de 10GW en moyenne sur 3 jours consécutifs (72h), soit 720GWh devant être stockés, utilisé sur les jours suivants où la production a sévèrement chuté,
Le stockage inter-saisonnier et le stockage hebdomadaire sont également utilisés pour les besoins infrajournaliers (voir étude ADEME 2015),
Les batteries et les STEP ne sont pas en mesure de faire du stockage inter-saisonnier du fait des volumes en jeu. Même si à l’échelle de l’année les volumes mobilisées en énergie sont similaires (voir tableau 2), le nombre de cycles de charge et décharge par an et les volumes mobilisés à chaque cycle sont d’un tout autre ordre de grandeur : le stockage infrajournalier se charge et se décharge environ une fois par jour avec des volumes stockés et déstockés de l’ordre de quelques dizaines de GWh alors que le stockage inter-saisonnier se charge et se décharge quelques fois dans l’année.
Tableau 1 : Volumes de stockage nécessaires à la sécurité d’approvisionnement à différents horizons de temps et en fonction du mix de production, après avoir tenu compte de la flexibilité de la demande et de la production (source : ATEE-ADEME 2013)
Volume du besoin de stockage nécessaire pour garantir la sécurité d’approvisionnement à différentes échelles de temps
Infrajournalier – moyenne par jour
(6 heures de décharge)
Infra-hebdomadaire – moyenne par semaine
(32 heures de décharge)
Inter-saisonnier
Situation année de référence 2013 (4,7 GW de PV, 8,2 GW éolien)
45 GWh
5 GWh
-
Avec 20 GW de PV, 30 GW éolien – scénario Médian du Bilan prévisionnel 2012 de RTE - mix 2030
50 GWh
50 GWh
-
Avec 33 GW de PV, 46 GW d’éolien – scénario ADEME publié dans « Vision 2030-2050 » - mix 2030
65 GWh
150 GWh
-
Tableau 2 : Volumes de stockage annuels nécessaires à la sécurité d’approvisionnement pour différents niveaux de pénétration du renouvelable et différentes variantes après avoir tenu compte de la flexibilité de la demande et de la production (source : ADEME, 2015)
Volume du besoin de stockage nécessaire pour garantir la sécurité d’approvisionnement à différentes échelles de temps
Infrajournalier
Infra-hebdomadaire
Inter-saisonnier
Avec 21 GW solaire et 17 GW éolien - mix 40% EnR
2,0 TWh
8,5 TWh
0 TWh
Avec 41 GW solaire et 70 GW éolien - mix 80% EnR de référence
7,8 TWh
11,8 TWh
0 TWh
Avec 58 GW solaire et 92 GW éolien - mix 95% EnR
11,4 TWh
12,9 TWh
7,4 TWh
Avec 63 GW solaire et 106 GW d’éolien – mix 100% EnR de référence
13,0 TWh
12,5 TWh
19,2 TWh
Avec 74 GW solaire et 108 GW éolien - mix 100% EnR variante renforcements réseaux difficiles
19,0 TWh
12,2 TWh
22,4 TWh
Avec 77 GW solaire et 64 GW éolien - mix 100% EnR variante acceptabilité restreinte
17,9 TWh
12,4 TWh
13,7 TWh
Notons que RTE évalue plutôt les besoins capacitaires en énergie pour les batteries stationnaires à 2050, à près de 100 GWh dans le scénario 100% EnR (scénario M0 de l'étude "Futurs Énergétiques 2050" figure 12.33 page 568) et un volume annuel de stockage (tout stockage confondu) soutiré de 60 TWh pour un volume restitué de 40 TWh (soit 20 TWh de pertes dans les conversions), soit des volumes comparables à ceux issus de l'étude ADEME de 2015.
Atteindre des forts taux de pénétration du renouvelable dans le mix électrique nécessite de développer le stockage inter-saisonnier
Dans ce contexte, les STEP utilisées aujourd’hui pour pallier aux variations infrajournalières sont complétées par des technologies de stockage court-terme, comme les batteries, pour combler ce besoin et sont mobilisées pour remplir le besoin infra-hebdomadaire. Les unités de méthanation , appelées aussi « Power-to-gas », sont utilisées pour transférer de très grandes quantités d’énergie d’une saison à l’autre, principalement des excédents estivaux liés à la production photovoltaïque pour combler les déficits hivernaux dus aux baisses momentanées de la production éolienne ou aux fortes pointes de consommation. Vu le volume extrêmement conséquent du besoin inter-saisonnier, c’est sur le développement ce type de stockage que repose principalement la faisabilité d’un mix de production à 100% renouvelable.
En résumé, la figure ci-dessous permet de situer la quantité d’énergie pouvant être stockée à l’année par 10GW de batteries de véhicules électriques de seconde vie à un horizon 2040-50, par rapport aux autres technologies de stockage, STEP et méthanation. Cette figure présente les déficits (manque de production) et surplus (excédent de production par rapport à la demande) d’un scénario de mix électrique ayant des capacités EnR installées très importantes (au-delà du scénario de l’étude ADEME 2015) permettant de générer de forts surplus pour d’autres usages : les 140 TWh de surplus ne servant pas à compenser les déficits en électricité restent sous forme de vecteur gaz et peuvent couvrir directement des usages comme la mobilité. Le rapport entre les surfaces montre l’avantage de la méthanation (Power-to-CH4) dont la seule limite est la capacité de stockage très importante du réseau gazier. La comparaison montre que les batteries de seconde vie de VE ne pourront participer que marginalement à l’adéquation entre production et consommation à l’échelle annuelle.
Les besoins de nouvelles réserves pour les services système varient selon l'observabilité du PV et de l'éolien
Du côté des services système, le dimensionnement des réserves dépend de nombreux paramètres : variations-type de la consommation, mix de production, puissance des plus grosses unités de production, robustesse, périmètre du réseau, interconnections avec d’autres zones électriques, etc. De plus, au-delà des considérations techniques, le dimensionnement des réserves résulte également de choix sociotechniques des gestionnaires de réseau de transport et des régulateurs, notamment en ce qui concerne l’aversion au risque (avec quelle probabilité souhaite-t-on éviter x heures d’énergie non distribuée ?) : il n’y a donc pas de méthode universelle même pour un mix électrique donné.
A titre d’exemple, le dimensionnement des réserves pour différents réseaux des États-Unis présenté dans la figure ci-dessous montre que les réserves ne correspondent pas à la même fraction du pic de demande (points noirs).
Actuellement, les gestionnaires de réseau de transport de la plaque européenne synchrone (ENTSO-E) dimensionnent la réserve primaire pour compenser la perte simultanée des deux groupes de production les plus puissants, soit 3GW, la contribution de chaque pays étant ensuite déterminée en fonction de la pointe de consommation.
Le tableau 3 fait l’état des lieux des services de réserves et de redispatch en France.
Tableau 3 : Caractéristiques des principaux services système en France à l’heure actuelle (source : compilation de documents de RTE)
Services système
Équilibre offre-demande (EOD) national et européen
Contrainte de transit
Nom du service
Inertie
Réserve primaire
Réserve secondaire
Réserve tertiaire
Congestions
Réception de l’ordre
1-2 sec
< 5 sec
< 30 sec
< 13 min
< 5 min
Délai d’activation
1-2 sec
50% en moins de 15 sec, 100% en moins de 30 sec
< 5 min
Plusieurs minutes
Plusieurs minutes
Durée de l’activation
15-30 sec
1-15 min
Dizaines de minutes
Minimum 1 h
Plusieurs heures
Volume de demande actuel
Environ 2 GW pour 30 GW de production mobilisés
3 GW en Europe dont environ 540 MW contractualisés par RTE
500 à 1000 MW selon les périodes (650 MW en moyenne)
2000 MW
3,2 TWh/an à la hausse et 3,7 TWh/an à la baisse
111 GWh en 2019
Dans ces conditions, le dimensionnement des différentes réserves pour des futurs mix de production constitue un exercice délicat. Seules des études poussées sur les réseaux, conduites par les gestionnaires de réseau de transport eux-mêmes, sont susceptibles de fournir un dimensionnement fiable de ces réserves. À cet égard, l’étude ADEME de 2015 apporte seulement des indications sur les besoins de marge résultant d’erreurs de prévision sur la production solaire et éolienne suivant les horizons de temps auxquels s’effectuent ces prévisions (1 heure, 6 heures ou 24 heures en amont).
Le gestionnaire de réseau de transport français, RTE, réalise tous les 2 ans une analyse prospective de l’évolution de l’équilibre offre-demande à long terme (15 ans ou plus). En 2019, il a entamé un vaste travail en concertation avec les parties prenantes pour construire des scénarios allant jusqu’à 2050 dont certains étudient la possibilité d’atteindre un mix de production 100% renouvelable.
L'étude
a été publiée en octobre 2021.
Dans ce cadre, les besoins en réserves liées aux différents aléas, à la fois en consommation et en production ont été récemment quantifiés aux horizons 2035 et 2050 (voir figure ci-dessous).
Les besoins de réserves vont dans tous les cas augmenter fortement, mais l’amélioration de l’observabilité du photovoltaïque, c’est-à-dire le suivi en temps réel de la production des centrales, ainsi que l’amélioration des prévisions de production du photovoltaïque et de l’éolien permettraient de réduire considérablement ces besoins : aujourd’hui d’environ 1 GW (pour l’heure et la journée considérées dans cette étude de RTE, c’est-à-dire à midi en mars), ces besoins augmenteraient entre environ 3,5 et 13,5 GW à 2050 selon les améliorations de l’observabilité et de la prévision de production mises en place à cet horizon.
Selon RTE, les batteries électrochimiques ont démontré leur capacité à remplir les exigences techniques pour la fourniture des réserves primaires, secondaires et tertiaires . La recherche actuelle porte sur le volume que les batteries électrochimiques pourraient représenter dans le total appelé pour les réserves.
Les batteries VE de seconde vie sont en compétition avec d’autres formes de flexibilité pour répondre aux besoins du réseau
Au-delà des questions techniques, des considérations économiques doivent être mises en regard des autres formes de flexibilité pouvant fournir ces services, qu’elles soient déjà présentes dans le système ou déployées dans les années à venir.
Deux en particulier se dégagent :
L’adaptation de la consommation de manière directe (pilotage) ou indirecte (via la modulation tarifaire) : le marché de la réserve tertiaire, (mécanisme d’ajustement), est déjà ouvert depuis plusieurs années à l’effacement industriel, tertiaire ou résidentiel pour une capacité contractualisée de 1,5GW dans l’appel d’offres de RTE d’octobre 2020 et un objectif à 6,5GW à horizon 2028 dans la PPE. Le scénario ADEME 2015 fait un usage important de ce type de flexibilité. Sa mise en œuvre est clé pour limiter le dimensionnement du stockage infrajournalier.
Le pilotage de la production renouvelable à la baisse (écrêtement) : cette forme de flexibilité reste encore très marginale pour des raisons contractuelles, par absence jusqu’à présent d’un besoin et du fait de la priorité d’accès au réseau au niveau européen. Néanmoins plusieurs projets de recherche ont démontré la capacité des centrales éoliennes et solaires à satisfaire les exigences techniques de fourniture des réserves .
Dans son étude réalisée conjointement avec l’AVERE-France (association nationale pour le développement de la mobilité électrique), RTE évalue le stock de batteries de seconde de vie à des valeurs marginales jusqu’en 2030 (1 GWh) et en augmentation significative jusqu’à 2040 (60 GWh) (voir figure ci-dessous). Ces chiffres sont à mettre en regard des besoins du système présentés dans les tableaux 1 et 2 (sécurité d’approvisionnement) et 3 (volume actuel des réserves) ci-dessus : dans les scénarios évalués par RTE, le stockage offert par les batteries de seconde vie devrait être du même ordre de grandeur que les besoins de réserves journalières et hebdomadaires, y compris dans des scénarios de forte pénétration du renouvelable. Or, les volumes nécessaires de réserves étant réduits, plus les acteurs sont nombreux, moins la valeur de ces services sera importante.
Notons, que dans la mise à jour datant de février 2022 de son étude "Futurs Énergétiques 2050", RTE précise que le volume de capacités de stockage apportés par l'utilisation en seconde vie des batteries de véhicule électrique pourrait représenter 400 à 800 GWh stockable à l'horizon 2050 (voir § 7.6.8 de l'étude), soit une augmentation très significative par rapport au chiffre précédent de 60 GWh à 2040. Cette augmentation s'explique par la part croissante de véhicules électriques en circulation sur la décennie 2030-2040 par rapport à la décennie précédente conduisant à un stock de batteries de seconde vie beaucoup plus important en 2050 qu'en 2040, avec une hypothèse de durée de vie de 10 à 15 ans pour ces batteries. Cette capacité est bien plus importante que les besoins du système électrique, même dans un scénario 100% renouvelable ce qui en fait un débouché insuffisant pour les batteries en fin de vie sur l'usage mobilité (0 à 22% du besoin à 2050 selon les scénarios étudiés par RTE). Les conclusions précédentes sont donc confirmées par les derniers travaux de RTE.
Dans l'étude réalise avec l'AVERE-France, RTE évalue également l’espace technico-économique pertinent pour les batteries à 300 MW de batteries délivrant des services sur 30 minutes pour les besoins actuels et à 1 GW supplémentaire délivrant des services sur 2 heures à l’horizon 2030 (selon les hypothèses de coûts considérées). Enfin, les batteries de plus grande capacité (> 2 heures) sont jugées économiquement non pertinentes à cet horizon.
Aujourd’hui, le seul service rentable pour des batteries est le réglage primaire de la fréquence. Or, comme mentionné plus haut (voir tableau 3), la contribution de RTE à ce réglage européen est aujourd’hui de 540 MW. La majeure partie des moyens de production conventionnels (hydraulique, nucléaire, fossile) raccordés au réseau de transport y participant, la place restante pour le stockage (c’est-à-dire en remplacement de moyens plus chers et/ou plus polluants) à l’heure actuelle est donc marginale. A plus long terme, avec la baisse des coûts des batteries et une capacité de production des centrales conventionnelles réduite, la place laissée au stockage batterie pour la réserve primaire pourrait s’accroître. Mais, à l’instar des autres types de réserve mentionnés plus haut, ces batteries seront progressivement en concurrence avec de nouveaux acteurs : progression de l’effacement, unités de production renouvelable variables elles-mêmes et nouvelles capacités de stockage.
En résumé, s’il est difficile d’évaluer les besoins réels du système électrique à 2030 et 2050 en termes de réserves, on peut néanmoins affirmer qu’avec la pénétration des énergies renouvelables, les besoins vont augmenter dans une proportion restant à déterminer. Parallèlement, le nombre d’acteurs susceptibles d’y répondre est également amené à augmenter, créant probablement une situation de « surcapacité » pour la fourniture de services système.
Dernière Mise à jour :
27/02/2024
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La réutilisation des batteries de véhicules électriques pour un usage stationnaire
Current: Quel intérêt pour le mix électrique d'une seconde vie des batteries des véhicules électriques ?
Synthèse
Cet article analyse la pertinence technique, économique et environnementale de l’utilisation stationnaire et en seconde vie des batteries de véhicules électriques de manière à répondre aux besoins du système électrique.
En se fixant, dès 2015, un objectif de 7 millions de bornes de recharge en 2030 et en renforçant récemment les primes à la conversion pour l’achat de véhicules électriques (VE) ou hybrides rechargeables (VHR), la France a choisi de mettre l’électrification de la mobilité au cœur de sa stratégie de transition énergétique. Toutefois, le bilan environnemental de cette option dépend du lieu de fabrication, du poids, de la technologie et du mix électrique du lieu d’utilisation du véhicule. Pour l’améliorer, les fabricants mettent en avant un usage stationnaire des batteries de « seconde vie » qui pose deux grandes questions : celle du reconditionnement pour un usage stationnaire et celle de l’intérêt pour le système électrique de cette source de flexibilité.
Les besoins du futur système électrique français
Les besoins du système électrique projetés dans un futur à 2050 avec un mix de production à 100% renouvelable se portent sur le développement industriel d’une solution de stockage inter-saisonnier avec des volumes de l’ordre de plusieurs dizaines de térawattheures. Le volume de stockage permis par les batteries de seconde de vie s’évalue plutôt à quelques dizaines de gigawattheures, pouvant répondre à des besoins infrajournaliers ou hebdomadaires pour lesquels elles se trouvent en compétition avec des solutions existantes à coût marginal quasi-nul (STEP) ou futures capables de répondre également aux besoins de stockage inter-saisonniers (Power-to-Gas). Il en va de même pour les services au réseau (réserves) qui peuvent être fournis de manière adéquate par d’autres technologies déjà présentes ou à venir. Ces constats posent la question de l’espace économique subsistant pour les batteries de seconde vie.
Un bilan environnemental des batteries de véhicules électriques à analyser avec précautions
S’ajoute à cette problématique celle du bilan environnemental des batteries de véhicules électriques qui doit être analysé et surveillé de près pour continuer à minimiser leurs impacts environnementaux sans devoir compter sur une seconde vie hypothétique qui nécessite dans tous les cas un reconditionnement pouvant être compliqué.
Ceci illustre que la question de la mobilité durable ne peut pas se résoudre seulement par une approche technologique. La sobriété d’usage est aussi un levier pour réduire le nombre de voitures individuelles, la taille des batteries, et par conséquent le volume de batteries candidates à la seconde vie.
L’état de l’art du bilan environnemental des véhicules électriques
L'empreinte carbone du véhicule électrique dépend fortement du contenu carbone du mix électrique
Devant l’augmentation du nombre de ventes de véhicules électriques ou hybrides rechargeables (cf. figures ci-dessous), la question du bilan environnemental de ces véhicules se pose avec acuité.
Les impacts environnementaux des véhicules à batteries font l’objet de nombreux travaux de recherche. Concernant les émissions de gaz à effet de serre (GES), un large consensus existe sur l’importance de l’origine de l’électricité utilisée pour recharger la batterie.
A l’inverse, les résultats de comparaison avec les émissions de véhicules thermiques diffèrent d’une étude à l’autre du fait du grand nombre d’hypothèses à faire : valeurs d’homologation ou valeurs réelles des émissions de véhicules thermiques, valeurs moyennes ou marginales du contenu CO2 du mix électrique, taille de la batterie, pays de fabrication de la batterie, kilomètres parcourus durant la durée de vie du véhicule, consommation du véhicule, …
Une étude publiée en 2018 par le Joint Research Center de la Commission européenne (JRC) analyse pour chaque État-membre les émissions GES de véhicules électriques. Celles-ci, comme le montre la figure ci-dessous, peuvent, être supérieures dans certains pays à celle des véhicules thermiques.
L’ONG européenne Transport & Environnement (T&E) a de son côté publié en 2020 une étude qui conclut que même avec une électricité produite au charbon, les véhicules électriques émettent moins de GES que les véhicules thermiques (voir figure ci-dessous).
Il est important de remarquer que les deux études ne prennent pas les mêmes hypothèses, notamment sur les émissions de GES des véhicules Diesel (145 gCO2/km pour la première, 230 gCO2/km pour la seconde).
On note par ailleurs que dans les pays comme la France où le contenu moyen en CO2 du mix électrique est faible et où la phase d’utilisation pèse donc peu dans le cycle de vie, la production de la batterie représente plus du tiers des émissions en analyse cycle de vie (ACV) du véhicule électrique, la phase de construction du véhicule (« Car production ») restant quant à elle équivalente entre électrique et thermique.
Un bilan ACV du véhicule électrique plus mitigé
Mais les émissions de GES ne sont pas les seuls impacts à considérer : les études complètes d’ACV intègrent également un grand nombre d’indicateurs environnementaux (toxicité humaine, pollutions de l’eau, des sols, production de particules, etc.).
Une étude allemande de l’université de Trèves parue en 2020 (voir figure ci-dessous) détaille pas moins de 18 indicateurs environnementaux différents, dont une majorité sont en défaveur du véhicule électrique même avec une électricité issue des énergies renouvelables (phase de fabrication et d’usage).
Ces résultats doivent être agglomérés dans un ou des indicateurs globaux pour être en mesure de tirer des conclusions. La question fondamentale est alors de fixer la pondération entre ces différents indicateurs : en fonction de celle-ci, le classement obtenu dans la comparaison des impacts des différents véhicules évolue fortement.
En conclusion, les impacts environnementaux du véhicule électrique sont complexes à analyser car ils dépendent d’un très grand nombre de facteurs liés à la fabrication des batteries (dont le détail relève souvent du secret industriel), au type de véhicules (puissance, poids, autonomie) et à l’origine de l’électricité ; qui plus est, la question du choix de la pondération entre les différents impacts est déterminante pour la comparaison avec les véhicules thermiques. Il est donc important que les méthodes et les données utilisées pour déterminer les impacts environnementaux soient consolidées afin d’identifier les points d’amélioration sur lesquels travailler dans le futur.
Quoi qu’il en soit, la batterie a un poids considérable dans ce bilan environnemental mais il est aussi évident que plus sa durée de vie est allongée, plus le fardeau environnemental est dilué. Dès lors, l’éventualité d’une seconde vie lorsque la batterie n’est plus jugée assez performante pour un véhicule électrique est un enjeu important pour déterminer l’impact réel de ce dernier.
Enfin, notons que dans la mise à jour de son étude "Futurs Énergétiques 2050" de février 2022, le gestionnaire de réseau de transport RTE souligne que si l'utilisation en seconde vie des batteries des véhicule électriques pour un usage stationnaire pourrait réduire les consommations en matériaux critiques tels que le nickel, le cobalt et le lithium, cela pourrait également réduire les volumes recyclés et les quantités de matière critiques récupérées par recyclage. Ainsi, RTE indique que le bilan matière d'une telle utilisation en seconde vie dépendra de la performance des filières de recyclage mises en place.
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La réutilisation des batteries de véhicules électriques pour un usage stationnaire
La réutilisation des batteries de véhicules électriques pour un usage stationnaire
Défis associés à la réutilisation des batteries de VE pour un usage stationnaire
Les challenges technologiques et économiques posés par la seconde vie des batteries de VE sont nombreux.
La contrainte la plus lourde liée à l’utilisation des batteries lithium-ion réside dans l’obligation de surveiller la tension de chacune des nombreuses cellules qui les composent : une batterie de ZOE contient 192 cellules, celle d’une TESLA plusieurs milliers. Un défaut de surveillance pouvant entraîner une dégradation accélérée voire une destruction de la cellule, la gestion de la batterie est grandement simplifiée si toutes les cellules sont identiques. Or, si un pack neuf peut ne contenir que des cellules identiques éventuellement soigneusement triées, avec le vieillissement des écarts apparaissent et s’amplifient. Une batterie de seconde vie est donc le plus souvent constituée de cellules âgées dont les caractéristiques diffèrent dans des proportions variables, ce qui interdit de considérer cette batterie comme homogène.
Deux possibilités se présentent alors pour son reconditionnement en batterie stationnaire :
Soit les batteries usagées de VE sont réutilisées telles quelles, mais alors il faut revoir toute la stratégie de commande – le programme mis dans l’automate de gestion, le « Battery Management System » (BMS) – pour l’adapter à des cellules non identiques tout en garantissant la sécurité de fonctionnement.
Soit la batterie est redécoupée en cellules, qui sont de nouveau triées et réassemblées pour constituer de nouvelles batteries aux cellules appariées mais ces opérations peuvent être complexes (le démantèlement de la batterie peut nécessiter de dessouder des connectiques avec un risque de détérioration de la cellule) et/ou très longues (la caractérisation d’une cellule peut durer plusieurs dizaines d’heures).
De plus dans les deux cas, la question du devenir de ces cellules avec le vieillissement futur reste à élucider : les disparités peuvent s’accélérer plus ou moins rapidement lors de la seconde vie et les lois de vieillissement établies pour la première vie doivent être validées pour la seconde vie, ce qui nécessite de longs programmes de recherche.
Tous ces points ont des répercussions sur la faisabilité, la sécurité des installations et des personnes et le modèle économique de l’utilisation de batteries de seconde vie. Pour ces raisons, la comparaison entre le recyclage direct et la seconde vie mérite d’être minutieusement explorée.
Défis associés au recyclage des batteries de VE
Avec ou sans seconde vie, le recyclage des batteries lithium-ion affronte lui aussi de sérieux défis technologiques et économiques. Tout d’abord, les batteries lithium-ion des véhicules appartiennent à plusieurs familles de batteries[1] qui se distinguent par leurs compositions chimiques. La multiplicité des chimies de batteries rend difficile la mise en place d’une filière unique de recyclage. Par ailleurs, la filière actuelle de recyclage des batteries lithium-ion ne traite pratiquement que des batteries d’ordinateurs ou de téléphones, généralement de type LCO à forte teneur en Cobalt, dont la valeur de revente élevée permet de financer l’opération. Le lithium, dont le prix de marché est peu élevé, est quant à lui très rarement valorisé après le recyclage de ces batteries. Or le Cobalt est absent de certaines chimies de batteries (LFP, LTO) de plus en plus utilisées dans les véhicules électriques. En bouleversant les volumes à traiter et les procédés à utiliser, le recyclage des batteries de véhicules électriques impose donc de redéfinir les outils industriels et de trouver de nouveaux modèles économiques.
Que l’on favorise l’option recyclage ou celle de la réutilisation, on constate que la fin de vie des batteries de véhicules électriques soulève des questions technologiques, environnementales et économiques. Les impacts environnementaux, sanitaires et financiers des différentes solutions envisageables sont pour le moment mal connus et rappellent le besoin de consolider encore les méthodologies et les résultats des études existantes et à venir sur le bilan environnemental des VE/VHR.
Dans ce contexte, un argument souvent avancé pour fournir une seconde vie aux batteries issues de l’électromobilité est le besoin de stockage stationnaire associé au déploiement des énergies renouvelables[2]. La section suivante décrit l’état de la connaissance sur l’évolution des besoins en stockage du système électrique dans un contexte de pénétration des énergies renouvelables et la section d’après cherche à identifier quel rôle peuvent prendre les batteries de seconde vie dans le fonctionnement du système électrique de demain.
[1] Il existe plusieurs variantes de batteries lithium ion en fonction de la chimie utilisée : LFP (lithium fer phosphate), NMC (nickel manganèse cobalt), LTO (lithium titanate), LCO (lithium cobalt), …
[2] voir par exemple Martinez-Laserna et al. « Battery second life Hype, hope or reality - A critical review of the state of the art », Renewable and Sustainable Energy Reviews 93 (2018) ou Freitas Gomes et al. « Coupling small batteries and PV generation A review », Renewable and Sustainable Energy Reviews 126 (2020)].
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L’état de l’art du bilan environnemental des véhicules électriques
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Les besoins du système électrique : de quoi parle-t-on ?
Les besoins du système électrique : de quoi parle-t-on ?
Les besoins du système électrique, en particulier avec une évolution du mix de production vers une part très importante d’énergies renouvelables, sont source de beaucoup d’idées reçues et d’approximations : avant de juger de la contribution possible des batteries de seconde vie au fonctionnement du système électrique, il convient donc de préciser les termes et les quantités dont on parle.
Le fonctionnement du système électrique repose sur deux catégories de services intervenant à différentes échelles de temps et se distinguant par leurs objectifs :
La « sécurité d’approvisionnement » désigne l’adéquation prévisionnelle entre l’offre et la demande, en énergie et en puissance (deux quantités qui se mesurent respectivement en TWh et en GW) à l’échelle d’un pays. Cet équilibre entre la production et la consommation est généralement évalué en amont d’une période annuelle par des modèles de prévision à un pas de temps d’une heure. A cet effet, la France a introduit en 2015 le « mécanisme de capacité » pour garantir le passage de la pointe électrique de l’hiver à venir, en prévoyant la disponibilité de moyens de production spécifiques et, à la marge, de capacités d’effacement de consommation, notamment par des industriels.
La fourniture de services au réseau, appelés « services système », permet quant à elle d’assurer la stabilité (réserves inertielles) et la sûreté (autres réserves en fréquence et réglage de tension) du système électrique. La fourniture de ces services permet de faire des ajustements à des pas de temps proches du temps réel de la contrainte (déséquilibre production-consommation, tension haute ou basse, etc.) qui vont de la milliseconde à l’heure, et intervient sur des durées courtes. Les différentes réserves (voir figure ci-dessous) ont pour rôle de palier les déséquilibres du système électrique qui résultent des aléas de production et de consommation dus aux erreurs de prévision et se distinguent par l’horizon de temps auquel elles interviennent.
La sécurité d'approvisionnement
Le stockage peut jouer un rôle dans la sécurité d’approvisionnement sur trois horizons de temps différents, en fonction de la technologie et des besoins :
L’infrajournalier (cycles de charge / décharge de l’ordre de quelques heures) : le besoin de stockage à cette échelle de temps est nécessaire pour pallier aux fluctuations importantes de la demande entre heures « pleines », c’est-à-dire des heures de forte demande, et heures « creuses », qui peuvent être décorrélées des profils de production. Ce besoin est actuellement rempli par la flexibilité de la production, l’usage de moyens de production dits « de pointe » (centrales à gaz essentiellement) et par les stations de pompage-turbinage (STEP) associés aux réservoirs hydrauliques. Le besoin de stockage infrajournalier va principalement évoluer avec la pénétration du photovoltaïque dans le système électrique dont le rythme des variations est principalement journalier (cycles jour-nuit). L’étude ATEE-ADEME de 2013 sur le stockage montre qu’au-delà de 30GW de production photovoltaïque raccordée au réseau, des excédents de production ont lieu au milieu de la journée et doivent donc être stockés pour être déchargés lors de la pointe du soir (voir figure ci-dessous). Dans son étude "Futurs Énergétiques 2050", RTE évalue que le besoin de modulation infrajournalier pourrait être multiplié par 7 dans un scénario 100% renouvelable avec beaucoup de production solaire.
L’infra-hebdomadaire (quelques jours) : le besoin de stockage à cette échelle correspond actuellement à une variation de la consommation entre semaine et week-end. Ce besoin est actuellement également rempli par la flexibilité de la production et par les stations de pompage-turbinage (STEP) associés aux réservoirs hydrauliques. Le besoin de stockage infra-hebdomadaire va principalement évoluer en fonction de la pénétration de l’éolien dans le système électrique, dont le rythme des fluctuations est de plusieurs jours, la différence de consommation entre jours de semaine et week-end ayant tendance à diminuer grâce à la maîtrise de la demande. La figure ci-dessous, représentant la production sur deux semaines en 2050, issue de l’étude ADEME de 2015, illustre un épisode de forte production éolienne sur les trois premiers jours suivis d’une baisse de production importante sur les 9 jours suivants qui doit être compensée par le déstockage d’électricité par des moyens adéquats. Dans son étude "Futurs Énergétiques 2050", RTE évalue que le besoin de modulation infra-hebdomadaire pourrait être multiplié par 4 dans un scénario 100% renouvelable avec beaucoup de production éolienne.
L’inter-saisonnier (plusieurs mois) : le besoin inter-saisonnier est lié à une variation importante de consommation d’électricité entre saisons. Le besoin de stockage pour faire face à cette variation est actuellement inexistant parce que le mix de production est en très grande partie pilotable : les centrales nucléaires, par exemple, adaptent fortement leur puissance de production entre l’hiver (toute la capacité de production est mobilisée – environ 60GW) et l’été (production moyenne d’environ 30GW). A l’inverse, en 2050, dans un scénario où le mix électrique est à 100% composé d’électricité de source renouvelable, des variations importantes de production renouvelable entre saisons s’ajoutent aux variations de consommation à cette échelle. En effet, selon l’étude ADEME 2015, à 2050, l’appel de puissance en hiver reste plus important (pointe à 96GW) qu’en été (50-60GW en journée). Ainsi, les usages thermiques de l’électricité, et la capacité installée de photovoltaïque et éolien sont des facteurs clés pour évaluer le besoin de stockage inter-saisonnier. La figure ci-dessous montre le résultat de l’étude ADEME 2015 sur les volumes à stocker par la transformation des excédents de production d’électricité en gas (Power-to-Gas) et à déstocker (Gas-to-Power), en particulier le stockage de production solaire du printemps à l’automne, au moment où les consommations sont faibles et le déstockage massif en hiver.
Au total, sur les différentes échelles temporelles présentées ci-dessus, RTE évalue des nouveaux besoins capacitaires (outre les capacités flexibles des centrales de production nucléaires ou renouvelables, les flexibilités de consommation et les interconnexions déjà existantes) pour la sécurité d'approvisionnement à 2050 compris entre un peu moins de 30 GW et un peu moins de 70 GW selon les scénarios envisagés (voir figure ci-dessous). Les scénarios 100% renouvelable évalués par RTE nécessitent plus de 60 GW de besoin capacitaire pour la sécurité d'approvisionnement. Ces besoins capacitaires incluent le stockage mais aussi des centrales thermiques (qui peuvent fonctionner avec du gaz décarboné) et de la flexibilité de la demande.
Les besoins de stockage dépendent du mix électrique
Les volumes nécessaires de ces différentes formes de stockage dépendent donc fortement du mix de production électrique, en particulier des proportions d’éolien et de solaire, et des possibilités d’adaptation de la consommation. Les résultats de l’étude ADEME de 2015 confirment ceux de l’étude ATEE-ADEME 2013 : le besoin de stockage additionnel est très limité en-dessous d’une couverture de la consommation électrique à 40% par les EnR (correspondant notamment à une puissance installée de 20GW de photovoltaïque, là où l’étude ATEE-ADEME 2013 parlait d’un seuil à 33GW de photovoltaïque). Dans ces études, le besoin de stockage inter-saisonnier n’apparaît qu’à partir de 95% de couverture de la consommation par les EnR.
Néanmoins cette représentation en puissance ne permet pas entièrement de se rendre compte des phénomènes. En effet, il est plus courant d’exprimer les besoins de stockage en énergie. Les tableaux 1 et 2 ci-dessous rend compte des ordres de grandeur chiffrés pour les trois échelles de temps en fonction des puissances installées d’éolien et de solaire. Ces chiffres sont basés sur les études ATEE-ADEME de 2013 et ADEME de 2015 . Ils tiennent compte d’un développement important de l’effacement de consommation pour diminuer les pointes de consommation . De ces valeurs, on peut retenir que :
Le besoin de stockage augmente à toutes échelles avec une augmentation notable du stockage infrajournalier,
Le besoin de stockage inter-saisonnier n’apparaît que pour des parts très élevées, à partir de 95%, d’énergies renouvelables dans la production d’électricité,
La moyenne donnée pour le stockage hebdomadaire ne rend pas compte des disparités existant d’une semaine à l’autre du fait de la variabilité de la production éolienne. Un exemple de valeur haute correspond à un excédent de production éolienne de 10GW en moyenne sur 3 jours consécutifs (72h), soit 720GWh devant être stockés, utilisé sur les jours suivants où la production a sévèrement chuté,
Le stockage inter-saisonnier et le stockage hebdomadaire sont également utilisés pour les besoins infrajournaliers (voir étude ADEME 2015),
Les batteries et les STEP ne sont pas en mesure de faire du stockage inter-saisonnier du fait des volumes en jeu. Même si à l’échelle de l’année les volumes mobilisées en énergie sont similaires (voir tableau 2), le nombre de cycles de charge et décharge par an et les volumes mobilisés à chaque cycle sont d’un tout autre ordre de grandeur : le stockage infrajournalier se charge et se décharge environ une fois par jour avec des volumes stockés et déstockés de l’ordre de quelques dizaines de GWh alors que le stockage inter-saisonnier se charge et se décharge quelques fois dans l’année.
Tableau 1 : Volumes de stockage nécessaires à la sécurité d’approvisionnement à différents horizons de temps et en fonction du mix de production, après avoir tenu compte de la flexibilité de la demande et de la production (source : ATEE-ADEME 2013)
Volume du besoin de stockage nécessaire pour garantir la sécurité d’approvisionnement à différentes échelles de temps
Infrajournalier – moyenne par jour
(6 heures de décharge)
Infra-hebdomadaire – moyenne par semaine
(32 heures de décharge)
Inter-saisonnier
Situation année de référence 2013 (4,7 GW de PV, 8,2 GW éolien)
45 GWh
5 GWh
-
Avec 20 GW de PV, 30 GW éolien – scénario Médian du Bilan prévisionnel 2012 de RTE - mix 2030
50 GWh
50 GWh
-
Avec 33 GW de PV, 46 GW d’éolien – scénario ADEME publié dans « Vision 2030-2050 » - mix 2030
65 GWh
150 GWh
-
Tableau 2 : Volumes de stockage annuels nécessaires à la sécurité d’approvisionnement pour différents niveaux de pénétration du renouvelable et différentes variantes après avoir tenu compte de la flexibilité de la demande et de la production (source : ADEME, 2015)
Volume du besoin de stockage nécessaire pour garantir la sécurité d’approvisionnement à différentes échelles de temps
Infrajournalier
Infra-hebdomadaire
Inter-saisonnier
Avec 21 GW solaire et 17 GW éolien - mix 40% EnR
2,0 TWh
8,5 TWh
0 TWh
Avec 41 GW solaire et 70 GW éolien - mix 80% EnR de référence
7,8 TWh
11,8 TWh
0 TWh
Avec 58 GW solaire et 92 GW éolien - mix 95% EnR
11,4 TWh
12,9 TWh
7,4 TWh
Avec 63 GW solaire et 106 GW d’éolien – mix 100% EnR de référence
13,0 TWh
12,5 TWh
19,2 TWh
Avec 74 GW solaire et 108 GW éolien - mix 100% EnR variante renforcements réseaux difficiles
19,0 TWh
12,2 TWh
22,4 TWh
Avec 77 GW solaire et 64 GW éolien - mix 100% EnR variante acceptabilité restreinte
17,9 TWh
12,4 TWh
13,7 TWh
Notons que RTE évalue plutôt les besoins capacitaires en énergie pour les batteries stationnaires à 2050, à près de 100 GWh dans le scénario 100% EnR (scénario M0 de l'étude "Futurs Énergétiques 2050" figure 12.33 page 568) et un volume annuel de stockage (tout stockage confondu) soutiré de 60 TWh pour un volume restitué de 40 TWh (soit 20 TWh de pertes dans les conversions), soit des volumes comparables à ceux issus de l'étude ADEME de 2015.
Atteindre des forts taux de pénétration du renouvelable dans le mix électrique nécessite de développer le stockage inter-saisonnier
Dans ce contexte, les STEP utilisées aujourd’hui pour pallier aux variations infrajournalières sont complétées par des technologies de stockage court-terme, comme les batteries, pour combler ce besoin et sont mobilisées pour remplir le besoin infra-hebdomadaire. Les unités de méthanation , appelées aussi « Power-to-gas », sont utilisées pour transférer de très grandes quantités d’énergie d’une saison à l’autre, principalement des excédents estivaux liés à la production photovoltaïque pour combler les déficits hivernaux dus aux baisses momentanées de la production éolienne ou aux fortes pointes de consommation. Vu le volume extrêmement conséquent du besoin inter-saisonnier, c’est sur le développement ce type de stockage que repose principalement la faisabilité d’un mix de production à 100% renouvelable.
En résumé, la figure ci-dessous permet de situer la quantité d’énergie pouvant être stockée à l’année par 10GW de batteries de véhicules électriques de seconde vie à un horizon 2040-50, par rapport aux autres technologies de stockage, STEP et méthanation. Cette figure présente les déficits (manque de production) et surplus (excédent de production par rapport à la demande) d’un scénario de mix électrique ayant des capacités EnR installées très importantes (au-delà du scénario de l’étude ADEME 2015) permettant de générer de forts surplus pour d’autres usages : les 140 TWh de surplus ne servant pas à compenser les déficits en électricité restent sous forme de vecteur gaz et peuvent couvrir directement des usages comme la mobilité. Le rapport entre les surfaces montre l’avantage de la méthanation (Power-to-CH4) dont la seule limite est la capacité de stockage très importante du réseau gazier. La comparaison montre que les batteries de seconde vie de VE ne pourront participer que marginalement à l’adéquation entre production et consommation à l’échelle annuelle.
Les besoins de nouvelles réserves pour les services système varient selon l'observabilité du PV et de l'éolien
Du côté des services système, le dimensionnement des réserves dépend de nombreux paramètres : variations-type de la consommation, mix de production, puissance des plus grosses unités de production, robustesse, périmètre du réseau, interconnections avec d’autres zones électriques, etc. De plus, au-delà des considérations techniques, le dimensionnement des réserves résulte également de choix sociotechniques des gestionnaires de réseau de transport et des régulateurs, notamment en ce qui concerne l’aversion au risque (avec quelle probabilité souhaite-t-on éviter x heures d’énergie non distribuée ?) : il n’y a donc pas de méthode universelle même pour un mix électrique donné.
A titre d’exemple, le dimensionnement des réserves pour différents réseaux des États-Unis présenté dans la figure ci-dessous montre que les réserves ne correspondent pas à la même fraction du pic de demande (points noirs).
Actuellement, les gestionnaires de réseau de transport de la plaque européenne synchrone (ENTSO-E) dimensionnent la réserve primaire pour compenser la perte simultanée des deux groupes de production les plus puissants, soit 3GW, la contribution de chaque pays étant ensuite déterminée en fonction de la pointe de consommation.
Le tableau 3 fait l’état des lieux des services de réserves et de redispatch en France.
Tableau 3 : Caractéristiques des principaux services système en France à l’heure actuelle (source : compilation de documents de RTE)
Services système
Équilibre offre-demande (EOD) national et européen
Contrainte de transit
Nom du service
Inertie
Réserve primaire
Réserve secondaire
Réserve tertiaire
Congestions
Réception de l’ordre
1-2 sec
< 5 sec
< 30 sec
< 13 min
< 5 min
Délai d’activation
1-2 sec
50% en moins de 15 sec, 100% en moins de 30 sec
< 5 min
Plusieurs minutes
Plusieurs minutes
Durée de l’activation
15-30 sec
1-15 min
Dizaines de minutes
Minimum 1 h
Plusieurs heures
Volume de demande actuel
Environ 2 GW pour 30 GW de production mobilisés
3 GW en Europe dont environ 540 MW contractualisés par RTE
500 à 1000 MW selon les périodes (650 MW en moyenne)
2000 MW
3,2 TWh/an à la hausse et 3,7 TWh/an à la baisse
111 GWh en 2019
Dans ces conditions, le dimensionnement des différentes réserves pour des futurs mix de production constitue un exercice délicat. Seules des études poussées sur les réseaux, conduites par les gestionnaires de réseau de transport eux-mêmes, sont susceptibles de fournir un dimensionnement fiable de ces réserves. À cet égard, l’étude ADEME de 2015 apporte seulement des indications sur les besoins de marge résultant d’erreurs de prévision sur la production solaire et éolienne suivant les horizons de temps auxquels s’effectuent ces prévisions (1 heure, 6 heures ou 24 heures en amont).
Le gestionnaire de réseau de transport français, RTE, réalise tous les 2 ans une analyse prospective de l’évolution de l’équilibre offre-demande à long terme (15 ans ou plus). En 2019, il a entamé un vaste travail en concertation avec les parties prenantes pour construire des scénarios allant jusqu’à 2050 dont certains étudient la possibilité d’atteindre un mix de production 100% renouvelable.
L'étude
a été publiée en octobre 2021.
Dans ce cadre, les besoins en réserves liées aux différents aléas, à la fois en consommation et en production ont été récemment quantifiés aux horizons 2035 et 2050 (voir figure ci-dessous).
Les besoins de réserves vont dans tous les cas augmenter fortement, mais l’amélioration de l’observabilité du photovoltaïque, c’est-à-dire le suivi en temps réel de la production des centrales, ainsi que l’amélioration des prévisions de production du photovoltaïque et de l’éolien permettraient de réduire considérablement ces besoins : aujourd’hui d’environ 1 GW (pour l’heure et la journée considérées dans cette étude de RTE, c’est-à-dire à midi en mars), ces besoins augmenteraient entre environ 3,5 et 13,5 GW à 2050 selon les améliorations de l’observabilité et de la prévision de production mises en place à cet horizon.
Selon RTE, les batteries électrochimiques ont démontré leur capacité à remplir les exigences techniques pour la fourniture des réserves primaires, secondaires et tertiaires . La recherche actuelle porte sur le volume que les batteries électrochimiques pourraient représenter dans le total appelé pour les réserves.
Les batteries VE de seconde vie sont en compétition avec d’autres formes de flexibilité pour répondre aux besoins du réseau
Au-delà des questions techniques, des considérations économiques doivent être mises en regard des autres formes de flexibilité pouvant fournir ces services, qu’elles soient déjà présentes dans le système ou déployées dans les années à venir.
Deux en particulier se dégagent :
L’adaptation de la consommation de manière directe (pilotage) ou indirecte (via la modulation tarifaire) : le marché de la réserve tertiaire, (mécanisme d’ajustement), est déjà ouvert depuis plusieurs années à l’effacement industriel, tertiaire ou résidentiel pour une capacité contractualisée de 1,5GW dans l’appel d’offres de RTE d’octobre 2020 et un objectif à 6,5GW à horizon 2028 dans la PPE. Le scénario ADEME 2015 fait un usage important de ce type de flexibilité. Sa mise en œuvre est clé pour limiter le dimensionnement du stockage infrajournalier.
Le pilotage de la production renouvelable à la baisse (écrêtement) : cette forme de flexibilité reste encore très marginale pour des raisons contractuelles, par absence jusqu’à présent d’un besoin et du fait de la priorité d’accès au réseau au niveau européen. Néanmoins plusieurs projets de recherche ont démontré la capacité des centrales éoliennes et solaires à satisfaire les exigences techniques de fourniture des réserves .
Dans son étude réalisée conjointement avec l’AVERE-France (association nationale pour le développement de la mobilité électrique), RTE évalue le stock de batteries de seconde de vie à des valeurs marginales jusqu’en 2030 (1 GWh) et en augmentation significative jusqu’à 2040 (60 GWh) (voir figure ci-dessous). Ces chiffres sont à mettre en regard des besoins du système présentés dans les tableaux 1 et 2 (sécurité d’approvisionnement) et 3 (volume actuel des réserves) ci-dessus : dans les scénarios évalués par RTE, le stockage offert par les batteries de seconde vie devrait être du même ordre de grandeur que les besoins de réserves journalières et hebdomadaires, y compris dans des scénarios de forte pénétration du renouvelable. Or, les volumes nécessaires de réserves étant réduits, plus les acteurs sont nombreux, moins la valeur de ces services sera importante.
Notons, que dans la mise à jour datant de février 2022 de son étude "Futurs Énergétiques 2050", RTE précise que le volume de capacités de stockage apportés par l'utilisation en seconde vie des batteries de véhicule électrique pourrait représenter 400 à 800 GWh stockable à l'horizon 2050 (voir § 7.6.8 de l'étude), soit une augmentation très significative par rapport au chiffre précédent de 60 GWh à 2040. Cette augmentation s'explique par la part croissante de véhicules électriques en circulation sur la décennie 2030-2040 par rapport à la décennie précédente conduisant à un stock de batteries de seconde vie beaucoup plus important en 2050 qu'en 2040, avec une hypothèse de durée de vie de 10 à 15 ans pour ces batteries. Cette capacité est bien plus importante que les besoins du système électrique, même dans un scénario 100% renouvelable ce qui en fait un débouché insuffisant pour les batteries en fin de vie sur l'usage mobilité (0 à 22% du besoin à 2050 selon les scénarios étudiés par RTE). Les conclusions précédentes sont donc confirmées par les derniers travaux de RTE.
Dans l'étude réalise avec l'AVERE-France, RTE évalue également l’espace technico-économique pertinent pour les batteries à 300 MW de batteries délivrant des services sur 30 minutes pour les besoins actuels et à 1 GW supplémentaire délivrant des services sur 2 heures à l’horizon 2030 (selon les hypothèses de coûts considérées). Enfin, les batteries de plus grande capacité (> 2 heures) sont jugées économiquement non pertinentes à cet horizon.
Aujourd’hui, le seul service rentable pour des batteries est le réglage primaire de la fréquence. Or, comme mentionné plus haut (voir tableau 3), la contribution de RTE à ce réglage européen est aujourd’hui de 540 MW. La majeure partie des moyens de production conventionnels (hydraulique, nucléaire, fossile) raccordés au réseau de transport y participant, la place restante pour le stockage (c’est-à-dire en remplacement de moyens plus chers et/ou plus polluants) à l’heure actuelle est donc marginale. A plus long terme, avec la baisse des coûts des batteries et une capacité de production des centrales conventionnelles réduite, la place laissée au stockage batterie pour la réserve primaire pourrait s’accroître. Mais, à l’instar des autres types de réserve mentionnés plus haut, ces batteries seront progressivement en concurrence avec de nouveaux acteurs : progression de l’effacement, unités de production renouvelable variables elles-mêmes et nouvelles capacités de stockage.
En résumé, s’il est difficile d’évaluer les besoins réels du système électrique à 2030 et 2050 en termes de réserves, on peut néanmoins affirmer qu’avec la pénétration des énergies renouvelables, les besoins vont augmenter dans une proportion restant à déterminer. Parallèlement, le nombre d’acteurs susceptibles d’y répondre est également amené à augmenter, créant probablement une situation de « surcapacité » pour la fourniture de services système.
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La réutilisation des batteries de véhicules électriques pour un usage stationnaire
Parfois présentées comme la clé de voûte d’un système électrique reposant majoritairement sur les énergies renouvelables, les batteries électrochimiques sont en réalité confrontées à deux freins majeurs à leur développement :
Elles ne peuvent en aucun cas fournir les volumes nécessaires au stockage inter-saisonnier, de l’ordre de la centaine de térawattheures
L’espace économique dévolu à la fourniture de services système est limité et, bien que son volume devrait croître avec la pénétration du renouvelable variable dans la production d’électricité, les batteries seront en concurrence avec de nouveaux acteurs.
Les batteries pourraient par contre s’avérer pertinentes pour une utilisation infrajournalière afin de lisser les pics de production photovoltaïque du midi et les pointes de consommation du soir ainsi qu’en complément des STEP afin de lisser les variations de la consommation et de la production éolienne à l’échelle de la semaine. Il reste toutefois à déterminer le rôle que pourrait jouer le stockage long-terme, de toute façon nécessaire dans des scénarios 100% renouvelable, dans l’équilibrage journalier et hebdomadaire du système électrique.
Le bilan environnemental des batteries de véhicules électriques, au-delà du CO2, amène à considérer cette technologie avec prudence. Les indicateurs d’analyse de cycle de vie doivent être surveillés de près et réactualisés régulièrement. Par ailleurs, le reconditionnement des batteries de véhicules électriques pour une seconde vie stationnaire mais aussi leur recyclage, avec ou sans seconde vie, soulèvent de nombreux défis.
Ceci illustre que la question de la mobilité ne peut pas se résoudre seulement sous l’angle de la technologie et que l’usage doit absolument être considéré. La sobriété d’usage, en jouant sur la distance parcourue en voiture individuelle et le nombre de passagers par véhicule, permettrait de réduire le nombre de voitures individuelles, la taille des batteries, et par conséquent le volume de batteries candidates à la seconde vie.